. Dans cet article je vous propose d'explorer ce que peut signifier la morsure chez le tout petit et comment accompagner un tout-petit qui mord ... pour qu'il ne morde pas: les personnes! Nous aborderons en premier lieu cette thématique sous un angle assez particulier et qui peut vous surprendre: en quoi la morsure peut être envisagée comme une étape qui présente des bénéfices? Un angle assez peu soulevé... et pourtant "mordre" accompagne le développement cognitif et social du tout petit. Puis nous explorerons les causes les plus fréquentes des morsures et leur contexte de survenue chez les tout-petits. Nous terminerons sur quelques pistes d'attitudes favorables pour accompagner un enfant qui mord
1/ Les bénéfices de l'usage de la bouche pour explorer le monde et les relations sociales...
Sur le plan cognitif la bouche est comme une troisième main pour le bébé : elle lui permet d’explorer ce qui constitue l’environnement dans lequel il est, d’en tirer des informations, de comprendre son fonctionnement…
On parle d’ailleurs dans notre jargon professionnel de « stade oral » chez le bébé et ce, parfois jusqu’à 18 mois, voir plus. « L’oralité », « la sphère orale » ce lieu de passage obligatoire, par la bouche, pour explorer et donc comprendre et ainsi développer ses facultés intellectuelles. Expérimenter dans la bouche les textures, les matières, le goût, la dureté ou la mollesse d’un objet, ses reliefs, sa taille, son volume : autant d’informations transmises grâce au portage à la bouche des objets de son environnement. Le bébé construit ainsi son rapport aux objets, son rapport au monde en découvrant des lois de physiques de base grâce à l’expérimentation de cet objet mis en bouche, exploré puis recraché, grâce à la succion, le léchage, le « mâchouillage » … et les morsures !
La relation à son environnement pour le bébé n’est pas que sa relation aux objets : la relation aux personnes est encore plus
importante pour le bébé humain. Il va donc aussi explorer l’autre par la bouche. D’ailleurs c’est ce qu’il voit autour de lui : les gens s’embrassent, ils utilisent leur bouche pour rire, pour se parler, pour manger lors d’un repas partagé : la bouche est un passage obligatoire des relations humaines. Il est lui-même papouillé, embrassé tantôt avec douceur tantôt avec vigueur, certains automatismes langagiers envers les bébés sont révélateurs : « je vais te croquer », ‘j’ai envie de te manger » « miam » avant un papouille…
Ainsi, le bébé va lui aussi, explorer la relation avec cette bouche qui lui permet de découvrir et d’expérimenter des sensations agréables (qu’il voudra reproduire), comme par exemple sa mère qui rit lorsqu’il pose sa bouche en rond sur sa joue et effectue des mouvements de fouissement sur elle. Il ressentira aussi des expériences désagréables comme par exemple sa mère qui fronce ses sourcils et cri « aïe » en sursautant lorsqu’il la mord fortement.
Un bébé apprend de ses expérimentations et par la répétition. Ainsi, pour les explorations buccales désagréables, le bébé ne
tentera en général pas de les reproduire ou alors il le fera ce qui confirmera que c’est bien cette situation qui lui a fait ressentir cette sensation désagréable (répétons-le, le bébé apprend grâce à la répétition…). Mais en ce qui concerne la morsure d’une personne : la chaleur et la douceur de la peau ne sont pas désagréables en bouche d’une part et le bébé doit apprendre à faire le lien entre son comportement (la morsure) et la réaction de la personne mordue, et cela en fonction de ses capacités cognitives et des exemples d'usage des relations sociales par la bouche, qu'il a pu voir et resentir...
Il a donc la croquée exploratoire et va peu à peu découvrir les morsures permises (sur certains objets) et celles interdites (sur les
personnes). Il est important de noter qu’un bébé n’a pas l’intention de faire mal en mordant : les neurosciences et les avancées en psychologie du développement ont bien mis en évidence que le cerveau du bébé n’est pas encore capable d’anticiper ce type raisonnement.
2/ Les causes à l'origine des morsures: pourquoi bébé mord?
Maintenant que nous avons exploré en quoi la bouche est un passage incontournable des découvertes pour le bébé, nous allons voir qu’il existe d’autres situations dans lesquelles un bébé peut être amené à mordre et que leurs significations peuvent être différentes : un bébé de cinq mois ne mord pas pour les mêmes raisons qu’un enfant de 2 ans. Ainsi, il sera important pour vous, de comprendre chaque morsure dans son contexte pour accompagner au mieux ses expériences et amener bébé à comprendre qu’il vaut mieux éviter de mordre les personnes.
En dehors du contexte de la « mordée exploratoire », un nourrisson peut mordre dans des situations plutôt liée à l’immaturité de ses capacités d’expression de ses émotions et du fait qu’il n’a pas encore acquis le langage parlé qui lui permettrait de se faire entendre ou comprendre sans passer par la morsure. Voici une infographie qui met en avant les principales causes de morsures chez le tout-petit :
Vous l'aurez compris, lorsque votre bébé mord, ce n'est pas un acte volontaire pour faire mal. Parfois, c'est même chez le bébé, un comportement maladroit pour entrer en relation avec l'autre.
3/ Comment réagir lorsqu'un tout-petit mord?
Les bébés commencent à faire leurs premières poussées dentaires entre 3 mois et 12 mois. Si votre bébé mord dans cette période, c’est peut-être parce qu’il a une dent qui perce et il a besoin d’exercer une pression sur sa gencive, de mordre, pour se soulager. Un anneau de dentition, pouvant être réfrigéré ou des jouets de dentitions sont très utiles dans ces moments pour éviter qu’il ne morde une personne. Expliquez-lui ce qu’il vit et dites-lui qu’il peut mordre ces objets pour réduire son inconfort, que cela lui fera du bien: vous lui présentez alors "la morsure permise", celle d'un objet que l'on peut mordre. D'autres techniques sont apaisantes dans cette période: massage circulaire au niveau des joues, donner à bébé à machouiller un gant de toilette imbibé d'eau très froide (et bien essoré).
Si votre enfant a mordu quelqu’un, il est important d’intervenir immédiatement après la morsure.
L’enfant vit l’instant présent ; il ne peut pas se projeter comme nous dans le temps : il est par exemple peu constructif de parler à votre bébé de 8 mois de la morsure du matin à la crèche le soir autour diner…
Chose qui n’est pas évidente : gardez votre calme pour ne pas réagir de façon excessive ce qui amplifierait son stress et qui serait favorable à reproduire la morsure.
Prenez soin de l’enfant mordu en le consolant et lui expliquant la situation, appliquez éventuellement un gant de toilette froid sur sa peau en impliquant, selon son âge, l'enfant qui a mordu.
Par exemple s’il a 8 mois : avec un faciès simulant la douleur « ouïlle ouÏlle ça lui fait mal que tu l’as mordu » et pourquoi pas associer ensuite le geste « interdit » à une bouche qui croque: lorsqu'on associe un geste à la parole, les nourrissons comprennent mieux.
S'il a 2 ans : avec un faciès mécontent mais empathique « bein oui tu vois, il pleure parce que ça lui mal que tu l’as mordu, aide moi à le soulager si tu veux bien, on va lui mettre un gant de toilette froid sur son bras ». A cet âge on peut lui expliquer la situation qu’il vit et qui l’ a poussé à mordre en lui disant que c’est interdit de mordre et, selon la situation, en l’aidant à trouver d’autres solutions. Par exemple s’il a mordu pour récupérer un jouet que l’enfant lui a pris : « tu lui dit non et on l’invite à le faire en point son index « non ! ». S'il a mordu sur un moment de fristration ou de colère on peut lui dire "tu es en colère, je te comprends, avec ta bouche, tu peux dire "moi faché" mais mordre c'est interdit".
Si votre enfant a mordu et qu’il est lui aussi en pleurs, excédé par la situation, ne le réprimandez pas, prenez soin de l’enfant mordu avec lui et réconfortez-le par votre présence, accueillez ses pleurs qui vont l’aider à évacuer le stress, éventuellement donnez-lui son doudou si cela le soulage, puis une fois cette décharge émotionnelle passée, aidez le à mettre en mots la situation. C'est souvent une situation que l'on retrouve lorsque l'enfant a mordu dans un contexte de tension ou de situation intense de conflit avec un autre enfant: il est lui aussi en souffrance et cette morsure a permis votre intervention.
Ayez la même attitude si cela se reproduit, sans excès, car même s’il a compris qu’il ne doit pas mordre, il n’a pas encore la capacité de se contrôler ou de trouver d’autres moyens pour traverser cette situation si elle se reproduisait. C’est là encore la répétition qui lui permettra d’intégrer qu’il ne doit pas mordre et c’est votre constance dans l’accompagnement de cette étape qui l’aidera.
Votre enfant a besoin de vous pour apprendre que ses gestes ont des conséquences et pour l’aider à mieux se contrôler en trouvant des façons de s’exprimer plus adaptée à la vie de groupe. C’est ainsi que vous l’aidez dans sa socialisation. Parlez lui très tôt des émotions et sensations qui peuvent le traverser afin qu'il en prenne conscience progressivement.
Tous les enfants peuvent être amenés à mordre, et tous finissent par arrêter de le faire , certains ont besoin de plus de temps que d’autres.
Pour favoriser une intervention efficace, soyez patient (e), ferme dans votre approche tout en restant bienveillant, mettez-vous à la hauteur de votre enfant pour lui parler après avoir capté son attention (en le nommant par exemple), faites des phrases simples (éviter la négation), accompagnez vos mots par des gestes. Il est inutile de lui demander pourquoi il a mordu : il ne sait pas toujours, parfois c’est vous (après avoir lu le début de cet article … ) qui saurez lui verbaliser pourquoi il a mordu.
Sur le fond, travaillez à ce que le réservoir émotionnel de votre enfant soit équilibré : évitez les environnements sur stimulants et les situations de stress, adoptez une routine sécurisante, respectez son rythme (la fatigue aussi peut conduire le tout-petit à mordre), valorisez ses comportements positifs pour qu’il se sente bien et aimé, ce qui renforcera sa motivation sociale et les comportements « acceptés » en vie de groupe. Enfin, participez activement à l'accompagner dans le développement de son langage: utilisez le "langage adressé à bébé" qui est plus explicite et mieux compris par le tout petit, profitez de ses pointages pour nommer et échanger autour de ce qu'il pointe, lisez lui des livres ou racontez lui des histoires, chantez lui des comptines, la gestuelle associée à la parole est aussi très utile...
Certains parents, parfois de façon involontaire, ou pensant bien faire mettent en place des actions qui vont au contraire exacerber les morsures ou sont inadaptées. Si c’est votre cas, il suffit de marquer une petite pause (quelques secondes) avant d’intervenir pour prendre le recul nécessaire pour éviter : de mordre l’enfant qui a mordu, de dire des phrases du type « tu es méchant » ou « tu n’es pas beau », il faut aussi éviter de dire à l’enfant qui mord « fait un calin » (franchement : vous, vous voudriez d’un calin de quelqu’un qui vient de vous faire mal ?) et n’exigez pas non plus d’excuses : à cet âge là ils ne comprenent pas vraiment le sens des excuses. Enfin, évitez de l'appeler "le mordeur": cela lui donnera une étiquette et si c'est comme ça qu'il est regardé, c'est comme ça qu'il se comportera pour répondre à cette étiquette!
J'espère que cet article vous aura été utile et pratique: armez-vous de patience et ne culpabilisez pas, ne pensez pas que votre enfant a un problème, la morsure est, pour le tout petit, une étape ou un moyen parfois utilisé, à la fois de comprendre son environnement, appréhender ses émotions et pour se socialiser, qui necessite un accompagnement confiant de l'adulte maternant. Mais si vous êtes excédé par ce comportement, n'hésitez pas à contacter une
puéricultrice si vous souhaitez être aidé ou encore une psychologue. Vous pourrez en trouver dans le centre de PMI de votre territoire ou sur l'application 1000 premiers jours.
Bien à vous,
Mariama Bouibed,
infirmière-puéricultrice, D.U. Développement cognitif et social du nourrisson (Université R. Descartes)