LA MOTRICITÉ LIBRE EN PRATIQUE: de la position allongée vers la position debout, le développement psychomoteur du bébé à la lumière de lamotricité libre
Véronique KURTZ
Après avoir posé les fondamentaux de la motricité libre à la lumière des apports de la la pédiatre Emmi Pikler dans un article précédent, nous allons maintenant voir comment elle se concrétise en pratique.
La motricité libre signifie que le bébé ne sera pas posé, mis dans une position, une posture qu’il n’a pas acquis de lui-même.
La première position maitrisée par le bébé est la position allongée sur le dos. C’est donc ainsi qu’il pourra être posé au sol. Emmi Pikler prenait comme repère le moment où le bébé commence à joindre ses 2 mains pour lui proposer de petits moments au sol.
Pourquoi cette position est-elle la meilleure pour le bébé ?
Cette position est très favorable à l’enfant car elle a l’avantage de ne provoquer aucune tension dans son corps, les points d’appui de base (tête, cou, tronc, bassin) étant en contact avec le sol, cette position lui assure un sentiment de sécurité intérieure. Cette première posture est aussi intéressante car elle va permettre au bébé de lui donner accès à toutes les autres et à une grande variété de mouvements.
Ainsi posé, il pourra découvrir ses mains, son environnement (ombres, lumières, objets, odeurs,couleurs, sons…), sans se fatiguer. Puis peu à peu, par tâtonnements, et par mouvements de balayage des bras, en remontant vers le visage, le bébé attrapera les jouets ou objets à sa portée, que vous aurez posés de part et d’autre de sa tête.
Attiré par les objets à proximité, il sera amené à se tourner sur un côté, puis l’autre, ce qui l’amènera tôt ou tard à se retrouver, par hasard, sur le ventre. Le bébé pourra alors manifester de l’inconfort dans cette position inconnue pour lui, car il ne saura pas, dans un premier temps, revenir de lui-même sur le dos. C’est donc une des rares fois où l’adulte pourra intervenir pour aider le bébé à revenir sur le dos. Ces efforts vont l’amener à réaliser des rouler-bouler, élargissant son périmètre de découverte de son environnement.
Cette position à plat dos permet aussi au bébé de découvrir son corps. En portant les objets à sa bouche il développe la sensibilité des lèvres et de la bouche, la reconnaissance des objets, de ses doigts, il améliore sa coordination œil-main, découvre et attrape ses pieds.
Le plan sur lequel sera installé le bébé devra être suffisamment ferme (tapis d’éveil peuépais, petite couette…), afin de lui permettre de prendre ses appuis. En effet, il est très difficile de se mouvoir sur un sol trop mou, ce qui risque de mettre le bébé en « échec », il fera beaucoup d’efforts pour de piètres résultats.
L’enfant va découvrir le contact avec le tapis puis le sol avec tout son corps. Les mouvements de retournement vont renforcer la souplesse de ses articulations et de sa musculature ; il va ainsi apprendre à se protéger, à porter attention à son corps.
Les mouvements de rouler-bouler vont l’amener à être de plus en plus à l’aise en position sur le ventre et l’emmener vers le ramper, élargissant encore un peu plus sonpérimètre de découverte de son environnement.
Un autre élément devra attirer votre attention c’est le confort vestimentaire : des vêtements amples, sans excès, confortables permettant une aisance motrice sont indispensables pour assurer des mouvements harmonieux.
Puis peu à peu l’enfant va découvrir la verticalité, tous les mouvements de retournement et de ramper ont préparé la musculature du dos pour arriver à tenir la position assise et à s’asseoir par lui-même.
La position à plat ventre va amener l’enfant à redresser ses fesses et se mettre en appui sur ses mains et ses genoux vers un quatre pattes. Attiré par les jeux, il bouge d’avant en arrière, se balance sur les côtés, teste les équilibres sur une main, sur une jambe et trouve comment avancer. Cette posture va lui permettre d’expérimenter la coordination de ses quatre membres (main droite et jambe gauche ; main gauche et jambedroite), le transfert du poids de son corps, entre ses mains et ses genoux. Le quatre pattes développe la musculature de son dos et de ses jambes, prémices de la position debout et de l’équilibre nécessaire à l’acquisition de la marche.
Selon le chercheur américain Paul Dennison, spécialiste des processus d’apprentissage, les mouvements croisés du quatre pattes stimulent les deux hémisphères du cerveau, gauche et droit ; favorisent le développement intellectuel et la concentration.
Les déplacements à quatre pattes constituent une période d’exploration dynamique de l’espace, l’enfant acquière une vitesse de déplacement qui est source de plaisir. Cette position l’emmène vers la position assise, puis l’envie de prendre de la hauteur se fait sentir. Pour arriver à s’asseoir et à se hisser debout le bébé va passer par de multiples postures intermédiaires, ayant chacune leur rôle dans l’appréhension de son corps et de son environnement : accoudée sur le côté, mi-assise, quatre pattes mains-genoux, quatre pattes mains-pieds au sol,position à genoux, accroupie.
On dira que la position assise est maitrisée lorsque l’enfant est capable de s’asseoir de façon autonome, de rester dans cette position sans aide de l’adulte ni soutien matériel et de la quitter librement sans déséquilibre. Il apprend en premier lieu à s’asseoir sur le sol puis sur un élément surélevé.
Cependant, l’enfant posé assis par l’adulte rencontre différentes difficultés :
Au niveau de son corps, cette position lui confère plus de liberté de mouvements de ses bras, un champ de vision élargi, il éprouve un certain plaisir dans cette position mais celle-ci exige de lui des efforts pour la maintenir. Elle crée des tensions musculaires gênantes, qui interfèrent dans la qualité de ses manipulations. Ses bras lui sont d’un grand secours pour maintenir son équilibre, occasionnant des gestes rapides et saccadés. Au niveau de son autonomie, le bébé se retrouve « coincé » dans cette position, dont il ne sait ni comment y entrer, ni comment en sortir. Il est dans l’impossibilité de savoir comment organiser son corps pour basculer à 4 pattes ou retourner au sol. Quand il perd l’équilibre et se retrouve au sol, l’enfant éprouve d’importantes frustrations, pleure, s’énerve, ne parvient pas à explorer ses appuis au sol. Il s’agace, devient irritable et ne comprend pas pourquoi l’adulte ne vient pas à son aide. Il est dépendant de l’adulte pour retrouver cette position. Sans s’en rendre compte l’adulte met l’enfant en situation de dépendance vis à vis de lui.
Dans une approche de la motricité libre il est donc préférable de laisser l’enfant acquérir la position assise par lui-même. Lebébé alterne grands mouvements et petits mouvements, à son rythme, étudie lesrelations de causes à effets, les lois de la gravité, et expérimente différentsniveaux de concentration, l’aidant à mieux comprendre le monde qui l’entoure et son corps. Respectons ce rythme.
Vers la verticalité
Le redressement sur les genoux renforce les muscles du tronc, des fesses et des cuisses, amène l’exploration de nouveaux appuis et la recherche d’éléments d’appui pour se redresser et se hisser. Le bébé prendra appui sur les éléments présents, la table basse, le pied d’une table, les barreaux de son parc ou deson lit.
Cette étape lui permet d’explorer le basculement léger d’une jambe surl’autre, les appuis des pieds au sol, la position de chevalier servant (un genou à terre). Là encore, l’enfant devra être laissé libre de ses mouvements, sans intervention intempestive de l’adulte.
Toutes ces expériences et tentatives lui procurent le plaisir de faire seul et une certaine autonomie, il progresse toujours au rythme de ses découvertes, sentant ses capacités. Le retour au sol peut s’avérer une étape délicate pour le bébé, qui peut l’inquiéter, ne sachant trop comment redescendre de la position verticale. Il peut lui arriver de se laisser tomber sur les fesses au début. La main sécurisante de l’adulte sous les fesses peut lui permettre de retrouver de la sécurité au début, en l’accompagnant vers le sol.
Les premiers pas, grâces aux meubles et objets de son environnement, le bébé se redresse de plus en plus. De meuble en supports, le bébé se déplace, gardant une deux mains puisune main d’appui. Vient le moment où il ose se lâcher immobile, sans appui et osese lâcher pour un pas ou deux, reprenant le 4 pattes par moments, car bien plus aisé et rapide pour se déplacer. Il poursuit ses tests d’équilibre d’un pied sur l’autre et de transfert de poids, de balancier.
Il faut du temps au bébé pour acquérir la marche, il va pour cela devoir faire évoluer l’écartement de ses jambes et de ses appuis plantaires. C’est la raison pour laquelle il devra être pieds nus afin de ressentir toutes les sensations d’appui au sol (texture du sol, relief, température) lui permettant d’ajuster leur position au sol, pour ensuite libérer le mouvement de ses bras et trouver son équilibre. Si le sol est froid, privilégier des chaussettes antidérapantes ou de petits chaussons à semelles fines. Les chaussures, quant à elles, n’auront d’utilité que pour la marche en extérieur, lorsque celle-ci est maitrisée. Choisissez-lessouples, avec des semelles fines, afin de permettre le déroulé du pied au sol et la flexion de la cheville.
La marche est une acquisition importante et marquante dans la vie de l’enfant et de ses parents, souvent pressés de le voir déambuler. La tentation pour l’adulte d’offrir à l’enfant ses bras pour le tenir et le faire marcher est grande. Mais vous l’aurez compris elle n’a que peu d’utilité pour plusieurs raisons. L’adulte met l’enfant dans une position contre nature, bien différente de la position physiologique nécessaire, donnant à l’enfant des appuis inadaptés et l’illusion d’une pseudo maîtrise de l’équilibre. Ainsi tenu l’enfant n’explore pas, par lui-même, les appuis et les réactions de son corps, il n’apprend donc pas à trouver son équilibre et à ajuster ses réactions, son positionnement aux dangers environnants ; il n’acquière pas cette confiance en ses capacités. De plus l’adulte rend l’enfant dépendant de lui, puisque ce dernier n’est pas capable encore de marcher seul, occasionnant des frustrations et des pleurs.
Dans la même logique et dans une approche de motricité libre, il est un jeu à proscrire : c’est le youpala. Il ne favorise pas l’autonomie de l’enfant, qui se déplace dans une illusion de simplicité, avec de mauvais appuis au sol (sur le pointe des pieds), occasionnant ensuite, lors de l’acquisition de la marche, une perte d’équilibre vers l’avant, des chutes fréquentes sans réflexede protection des mains puisque habitué à la protection du plateau du youpala. Tous les orthopédistes s’accordent à dénoncer les méfaits de ce jeu pour enfant encore si répandu, du fait du mauvais positionnement des hanches et du bassin.Beaucoup d’accidents de la vie courantes y sont aussi rattachés, chutes d’objets sur l’enfant, chute dans les escaliers.
Néanmoins toutes ces évolutions de l’enfant, ne sont rendues possibles que par la présence, l’attention des adultes autour de lui. Le bébé a besoin de soutien, de paroles, d’encouragements et d’un regard bienveillant. En l’observant, l’adulte permet à l’enfant d’expérimenter et de faire ses acquisitions à son rythme. Ainsi il se sent valorisé sur ses capacités et consolide sa confiance en soi. Il y a donc deux points sur lesquels l’adulte peut avoir une action essentielle. L’attention qu’il porte à l’enfant et à son développement et l’aménagement de l’espace et les propositions de jeux et jouets. C’est par son observation du bébé, le plaisir de contempler son activité, ses mouvements, ses acquisitions que l’adulte va sentir les besoins de celui-ci et faire évoluer les propositions et l’espace environnant. L’adulte proposera donc à l’enfant des jeux stimulants, mais pas trop, lui permettant de réaliser ses explorations et ses acquisitions ;des objets rigides, stables, de hauteurs variables sur lesquels il pourraprendre appui.
En conclusion
Alors n’oublions pas tout le travail que le développement psychomoteur représente pour l’enfant, dont lui seul détient le rythme et la vitesse d’acquisition. Encore une fois, l’important n’est pas l’acquisition en elle-même, mais le processus complexe qui a permis au bébé de conquérir son corps et les lois de l’équilibre, de se construire une représentation de lui-même et une compréhension du monde qui l’entoure. La motricité libre luipermet de mener à bien son « travail de bébé », sous le regard d’un adulte bienveillant.
Véronique KURTZ, Infirmière-puéricultrice, Cadre de santé, Formatrice
BIBLIOGRAPHIE
Pikler .E,Tardos.A . (2017). Grandir autonome . Érès
Pavy.P, Rault.C. (2020). Accompagner l’éveilpsychomoteur, le bien-être du tout petit de la naissance à la marche. Mango.