A travers cet article, découvrez ce qu'est la motricité libre et ce qu'apporte à l'enfant cette approche pédagogique que l'on retrouve dans de nombreux projets de crèche. L'auteur, Véronique Kurtz, Cadre de santé - Puéricultrice, formatrice en école de puériculture, est riche d'une grande expérience de directrice de crèche avec un projet d'accueil de l'enfant basé sur cette pédagogie dans le cadre d'un idéal de bien-traitance institutionnelle.
Vous trouverez un second article à sujet: Véronique vous livre des informations pratiques à propos de la motricité libre, de la position allongée à la position debout, venez découvrir les détails du développement psychomoteur à la lumière de la motricité libre.
Je laisse place à Véronique en vous souhaitant une agréable lecture.
Mariama
Parents,
Votre enfant a maintenant 2 mois environ, vous avez appris à mieux comprendre comment répondre à ses besoins, vous découvrez sa manière de communiquer avec vous. Vous avez senti, perçu combien le bébé aime être entouré, sentir une présence bienveillante et rassurante à son égard, combien il aime être également entouré physiquement, être porté, contenu, comme si sentir les contours de son corps l’aidait à s’apaiser. Vous percevez ce langage corporel ô combien important et l’attrait de votre bébé pour le visage humain, base de l’accordage visuel nécessaire à votre relation.
Tout cela constitue le début de son développement psychomoteur, c’est à dire l’évolution ou l’ensemble des progrès accomplis par l’enfant sur le plan moteur, sensoriel, intellectuel, affectif et social, qui vont lui permettre de prendre progressivement le contrôle de son système musculaire, pour aboutir à une coordination volontaire de ses mouvements.
Peut-être avez-vous entendu parler de la « motricité libre » et vous souhaitez mieux appréhender sa signification.
Celle-ci est issue des travaux d’une pédiatre hongroise Emmi Pikler (1902–1984) dans les années 50. Visionnaire pour son époque, elle avait perçu l’importance pour le bébé d’être laissé libre de ses mouvements, afin de ne pas entraver son développement psychomoteur.
Devenue pédiatre de famille elle va mener des travaux de recherche sur le développement des enfants et organiser des visites au domicile des familles une fois par semaine, non pas parce que les enfants sont malades mais dans une démarche d’observation et de prévention. (prémices de la PMI ).
Elle observe avec les parents le développement des enfants laissés libres de leurs mouvements. Elle rédigera une thèse sur le sujet intitulée : « Se mouvoir en liberté dès le premier âge », dans laquelle elle étudie toute l’évolution des postures par lesquelles le bébé va passer, de la position sur le dos jusqu’à l’acquisition de la marche assurée.
Elle met en lumière comment l’observation conjointe et partagée du bébé avec les parents, soutient le développement du bébé et pose les bases de la prévention. Ce qui, dit autrement, signifie que le simple fait de regarder, d’observer le bébé, soutient son développement et soutient ses parents dans leur réponse aux besoins de leur enfant.
Emmi Pikler pose trois grands principes, le premier est de considérer tout bébé comme un enfant capable à sa manière, à son niveau. Le deuxième est que tout bébé a besoin de se sentir efficace et c’est donc l’attitude de l’adulte qui considère le bébé, lui porte attention, qui tient compte de lui et de ses manifestations qui va lui renvoyer ce sentiment d’efficacité. Enfin le troisième principe est La liberté de mouvement. Il existe un programme inné du développement psychomoteur commun à tous les bébés, qui se déroule toujours dans le même ordre. Mais chacun a son rythme propre.
Pour Emmi Pikler c’est le processus qui compte, pas le résultat. Elle appelle cela les auto-apprentissages. Pour l’enfant découvrir ce que je peux faire par moi-même, avec mes moyens, à mon rythme constitue la base des apprentissages scolaires. Par lui-même, pour lui même, à partir de lui-même. Ce qui suppose d’ajuster les propositions à l’enfant, de ne jamais lui demander plus qu’il n’est capable de faire et de ne jamais le placer dans une position qu’il n’a pas acquise par lui-même.
Alors pourquoi cette liberté de mouvement, cette motricité libre est-elle si importante pour l’enfant, que lui apporte-t-elle de si fondamental ?
Tout d’abord elle pose les fondements chez l’enfant de sa personnalité et de sa capacité à apprendre. En effet elle lui permet de prendre confiance en ses capacités et ses possibilités, de se sentir compétent. Elle lui fait découvrir le plaisir de faire par lui-même en fortifiant son image de soi. Elle permet au bébé de réaliser les étapes de son développement à son rythme, lorsque lui est prêt, lorsque, surtout, sa musculature est prête. Car le bébé humain ne nait pas avec un système neuromusculaire mature, il va lui falloir plusieurs mois pour passer d’une activité réflexe (réflexes archaïques) à une activité musculaire volontaire et contrôlée. Cela est lié à l’immaturité de son système neurologique.
Favoriser cette motricité libre permet aussi à l’enfant de développer son autonomie (puisqu’il n’est pas dépendant de l’adulte pour faire les choses) ; de faire ses propres expériences de compréhension du monde qui l’entoure. Il va faire l’expérience du vide, de la pesanteur, de l’espace et du temps. Il va acquérir des informations et des connaissances sur la qualité des objets, leur poids, leur taille, leurs aspérités, leurs formes ; mais aussi sur leurs propriétés. Il va ainsi développer ses facultés cognitives, il va développer sa pensée, découvrir les lois mathématiques, le dedans, le dehors, le dessus, le dessous…
En laissant votre enfant libre de ses mouvements vous allez aussi favoriser son imagination, sa créativité et son esprit d’initiative, puisque c’est lui qui est à l’initiative de son jeu. Vous allez également lui permettre de prendre conscience du danger, puisqu’il ne fera que les choses dont il se sent capable, à son rythme. Ainsi il développera la perception de son corps, immobile et en mouvement, apprenant par lui-même les limites et les lois de son corps. Ce qui lui permettra de développer son attention et sa concentration et de mieux réguler ses états internes d’attention, alternant avec des moments de pause et de détente.
En conclusion il va développer ses savoirs, en un mot apprendre à apprendre.
L’enfant laissé ainsi libre de son développement ne rencontre pas le sentiment d’échec (si l’entourage n’est pas en attente d’un résultat ou d’une performance). Au cours de l’activité et du jeu spontané, difficilement séparables l’un de l’autre, ce qui rend l’enfant heureux c’est d’agir par lui-même. Le résultat en soi n’a que peu d’intérêt, l’importance étant le processus, le chemin pour y parvenir, qui pose les bases des apprentissages scolaires futurs.
Alors quel est le rôle de l’adulte, du parent pour accompagner le bébé dans son développement ? Dans un autre article nous verrons les propositions concrètes pour favoriser la motricité libre de l’enfant.
Véronique KURTZ,
Infirmière-puéricultrice - Cadre de santé